20 février

Père Jacques Purpan

Aimer son ennemi ???

L’Évangile que nous venons de proclamer est plus facile à lire qu’à vivre. Il vient tout juste, dans l’Évangile de Lu, après la proclamation des Béatitudes entendues dimanche dernier. Reconnaissons que, même après 21 siècles, nous pouvons être choqués par les paroles prononcées par Jésus. Alors qu’actuellement les procès judiciaires se succèdent dans les médias, alors que des préparatifs de guerre risquent de nouveau dresser peuple contre peuple, alors que des tribuns populistes veulent exacerber les tensions entre citoyens, réveiller le racisme avec son cortège de haine qui dort en nous, voilà que Jésus nous propose une autre voie. Il est vrai qu’il n’était candidat à rien.

Imaginez à son époque, dans le contexte connu de la loi du talion babylonienne , de la sanction, ce que ses paroles ont de révolutionnaires. La peine de mort, jusqu’à une époque récente, faisait partie de notre arsenal judiciaire. Honte à ceux qui voudraient la voir rétablir ! Peut- on imaginer que Jésus n’a pas les pieds sur terre ? Serait-il vraiment naïf en disant qu’il faut aimer ses ennemis et qu’il nous faut faire du bien à ceux qui nous haïssent ? Etait-il un doux rêveur ? Qui réalise de telles attitudes pourrait gagner de monter sur un podium pour son humanisme évangélique.

Nous pourrions ranger son discours comme un diplôme fixé sur un mur. C’est beau mais vraiment ce n’est pas à notre portée, moi le 1er, nous qui pouvons être tentés par le désir de vengeance, par le désir violent de compenser un mal reçu par un mal donné, Si l’on arrive à dépasser ces mauvais sentiments, ces tentations, depuis Caïn, Jésus nous appelle à donner un coup d’arrêt au mal.

Le discours de Jésus peut nous paraître paradoxal : aimer et pardonner face à ceux qui sont ennemis ou/ et qui haïssent. Il ne peut être compris comme une règle, une loi de comportement social mais il indique une orientation, une attitude, une recherche, un sens pour qui essaye d’être disciple de Jésus en vérité. Ne serait-il pas, pour nous, le Chemin, la Vérité et la vie ?

L’amour des ennemis n’est pas une réconciliation de pacotille, une thérapie psychologique. C’est parfois déjà compliqué de se réconcilier en famille ! Imaginez avec ses ennemis ! N’est-ce pas plutôt un coup d’arrêt ultime au mal ? Avec son prochain, avec son environnement familial, social, villageois, avec son lointain ? N’est-ce-pas un (le seul) chemin vers la paix ? 

Qui aime les autres avec charité est d’abord juste avec eux. Non seulement la justice n’est pas étrangère à la charité mais elles sont inséparables. Rappelons- nous la démarche des bourreaux (les Hutus) et des victimes (les Tutsis) du génocide au Zaïre capables d’entamer une démarche de reconnaissance de la faute en vue du pardon. Benoit XVI disait : « Pas de justice sans charité ; pas de charité sans justice ». L’amour de son prochain doit dépasser la justice mais il ne peut l’ignorer.

Ce qui endigue le mal, la haine, c’est l’amour. Rappelons- nous aussi la dernière phrase d’ Etienne en train d’être lapidé : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font . Ne leur compte pas ce péché ». « le pardon n’implique pas l’oubli »trouve-t-on dans Fratelli Tutti. Roseline Hamel (sœur du P. J. Hamel) voulant rencontrer la mère d’un des deux terroristes lui a dit : « Même avec ma grande souffrance qui persiste, comme celle de ma famille, vous n’aurez pas ma haine ».
Elle donne maintenant des conférences sur le pardon dans des églises…Ce qui peut endiguer la haine, c’est aimer. Aimer. L’amour des ennemis fait du bien, car avoir des ennemis, cela nous bouffe de l’intérieur, cela nous mine, ça nous détruit et cancérise…même à distance de temps et de lieu.

Aimer son ennemi, ce n’est pas, soyons réalistes, en faire un ami, mais c’est à répondre au mal sans se faire mal, à poser l’ennemi à sa place pour vivre, le laisser vivre sans désir de vengeance. Nous avons en tête l’attitude du Roi David (relatée dans la 1re lecture de Samuel) qui avait à sa merci son ennemi endormi, Saül, et qui le laisse en vie parce que, dit-il, le Seigneur rendra à chacun selon sa justice et sa fidélité » L’exigence, que nous propose le Seigneur, est une invitation à participer à la création d’un monde où amour et justice se rencontrent, où justice et paix s’embrassent, comme le chante le Ps. 84. 
On ne peut censurer l’Évangile quand il gêne nos pratiques. Demandons humblement au Seigneur de nous donner la force de répondre à la haine et au mal, uniquement par le bien, par l’Amour. 
Roseline Hamel voulant rencontrer la mère d’un des deux terroristes lui a dit : « Même avec ma grande souffrance qui persiste, comme celle de ma famille, vous n’aurez pas ma haine ».

21 février 2022